En marge de la 11è session du Forum régional africain sur le développement durable (ARFSD), le directeur exécutif du Forum et réseau africain sur la dette et le développement (AFRODAD), Jason Braganza a animé ce jeudi 10 avril 2025, un point de presse en ligne. Cet entretien avec les médias est placé sur le thème ‘’Débloquer le développement durable de l’Afrique grâce à des financements innovants et à la réforme de la dette’’.
L’ARFSD se concentre sur l’examen des progrès, des défis et des opportunités de l’Afrique dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et de l’Agenda 2063 ; Le thème de cette édition étant « Stimuler la création d’emplois et la croissance économique grâce à des solutions durables, inclusives, fondées sur la science et les données probantes pour l’Agenda 2030 et l’Agenda 2063». S’inscrivant dans ce même schéma, AFRODAD, dans son point de presse a présenté l’ampleur de la crise de la dette en Afrique, l’impact de cette crise aujourd’hui et sur l’Agenda 2063.
« Plus de 25 pays africains sont en détresse financière ou à haut risque de l’être. Au total, cela représente plus de la moitié du continent confronté à une crise de la dette redoutable », a déclaré Jason Braganza dans sa présentation. Il a identifié trois stratégies clés abordés dans les échanges en Ouganda : la Zone de libre-échange continentale africaine, la lutte contre les flux financiers illicites, et la création d’une dynamique et d’une cohérence autour d’un ensemble complet de réformes de la dette.
Concernant la réforme de la dette, le constat selon Jason Braganza, c’est que les gouvernements africains n’ont pas de plateforme où ils peuvent se rassembler collectivement pour négocier et élaborer des stratégies sur la façon dont ils peuvent restructurer ou renégocier leur répartition de la dette avec leurs créanciers. « Une partie de la raison est que l’architecture de la dette a changé de manière assez significative au cours des 20 à 25 dernières années, alors que nous avions auparavant une situation où nos créanciers étaient principalement bilatéraux ou multilatéraux », a-t-il précisé.
En effet, l’Afrique fait désormais face à une augmentation des prêteurs privés et commerciaux qui agissent de manière très différente, mais dont les intérêts tendent à être plus à court terme qu’à moyen ou long terme. Les pays, tant les prêteurs que les emprunteurs, n’ont pas été en mesure de s’adapter à cette combinaison de facteurs, d’où la nécessité d’une restructuration de la dette alors que l’architecture de la dette existante reste relativement constante et ne s’ajuste pas à ce nouveau paysage créancier.
Il existe néanmoins, des pays qui se démarquent en matière de réformes dans le but de minimiser les effets de la crise de la dette publique. A titre d’exemple, Jason Braganza a cité le Kenya et le Rwanda qui ont fait des progrès significatifs en matière de législation sur la dette. Toutefois, bien qu’il y ait des avancées, de bonnes politiques peuvent échouer dans leur mise en œuvre. « La structure de nos économies ne change pas beaucoup. Les revenus qu’elles génèrent ne suffisent pas à atteindre l’objectif de développement que nous avons, ce qui nous contraint donc à emprunter ». D’où la nécessité d’une réforme de l’architecture de la dette qui commence au niveau national. Elle s’étend ensuite aux communautés économiques régionales comme la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), etc.
Cette architecture favorisera la mise en place de cadres juridiques et politiques appropriés régissant l’emprunt et la gestion de la dette. Jason Braganza a également souligné que la gestion des flux financiers illicites devient un enjeu significatif quant à l’émergence et à la profondeur de la crise de la dette.

Freiner les flux financiers illicites
Chaque année, l’Afrique perd entre 80 et 90 milliards de dollars américains, soit environ 52.234 milliards de Fcfa à cause des flux financiers illicites. Jason Braganza estime que ces flux créé des déficits qui forcent les gouvernements à emprunter. « Si nous perdons près de 80 milliards de dollars, c’est de l’argent que les gouvernements africains doivent trouver par le biais de la fiscalité, principalement à travers des taxes régressives. Les opportunités qui en découlent doivent être très spécifiques en termes d’interventions au niveau national, mais aussi cohérentes en termes d’un ensemble d’interventions coordonnées à l’échelle continentale ».
Les multinationales se retrouvent au centre de ce phénomène qui gangrène les économies africaines. En effet, explique Jason Braganza, la plupart des multinationales qui s’installent sur le continent ont des filiales ou créent des sociétés spéciales dans des juridictions à faible imposition. Ces entreprises pratiquent la planification fiscale, déplaçant des profits vers ces juridictions à faible imposition et évitant les impôts dans de nombreux pays africains, alors que les taux d’imposition des sociétés tendent à être assez élevés sur le continent, moyennant entre 25 % et 30 %. « Elles s’établissent dans des juridictions à faible imposition, que nous appelons des paradis fiscaux, offrant des impôts presque nuls sur les profits, déplaçant ainsi leurs revenus vers ces juridictions où ils ne sont pas imposables. Cela représente une forme de flux financiers illicites ».
Outre cette planification fiscale encore appelé ‘’efficacité fiscale’’, le secteur extractif et les ressources naturelles s’écroulent aussi sous le joug des flux financiers illicites. « La manière dont les entreprises opèrent dans ce secteur tend à aboutir à une sous-évaluation lors de la découverte ou de l’extraction de ressources, et ensuite à une surévaluation lors de leur tarification et de leur exportation hors du continent », a déclaré le directeur exécutif d’AFRODAD.
A l’en croire, une autre dimension des flux financiers illicites réside dans la manière dont les entreprises échangent et effectuent des transactions les unes avec les autres à travers ce qu’on appelle la tarification de transfert. « Lorsque vous combinez ces pratiques, étant donné que la dette extérieure de l’Afrique est d’environ 1,2 à 1,4 trillion de dollars américains, il est évident que nous faisons face à des défis importants ».

Jason Braganza a également indiqué qu’il existe des opportunités et des initiatives prises pour freiner les flux financiers illicites, telles que la transparence accrue et la surveillance, la propriété bénéficiaire pour identifier les véritables propriétaires d’entreprises, et l’exigence de publier des comptes de profits et pertes par les entreprises minières. En cela, certains gouvernements comme celui du Ghana sont des exemples à suivre. Le pays a enregistré des progrès significatifs dans la mise en œuvre d’initiatives comme l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives.
Selon Jason Braganza, la première étape est de domestiquer la Vision minière africaine, adoptée par tous les États membres de l’Union africaine, pour s’assurer que le secteur extractif est géré correctement, avec des revenus et des loyers perçus pour le bénéfice du continent.
La deuxième étape consiste à renforcer la surveillance parlementaire, en établissant des comités ou sous-comités spécifiques au sein du système parlementaire pour tenir à la fois le gouvernement et les entreprises responsables de leurs opérations dans le secteur minier.
La troisième étape implique l’introduction de registres publics de propriété bénéficiaire. La propriété bénéficiaire signifie la connaissance des véritables propriétaires de l’entreprise, permettant de suivre les investissements, la génération de revenus et les contributions fiscales restantes dans le pays. De tels registres sont cruciaux pour la transparence.
La quatrième recommandation concerne la création de politiques fiscales robustes et de régimes fiscaux entourant le secteur minier, garantissant que les régimes fiscaux, les régimes de récupération des coûts et les régimes de minimisation des coûts favorisent le Ghana et son peuple, plutôt que les entreprises impliquées.
Enfin, comprendre les structures d’entreprise des acteurs miniers au Ghana est vital. Où ces entreprises ont-elles des filiales ? Sont-elles situées dans des pays ayant des accords de double imposition ? Sont-elles situées dans des juridictions à faible imposition ? Aborder ces questions peut améliorer la capacité du gouvernement à maximiser la collecte des revenus et à garantir une plus grande responsabilité et transparence.
Félicienne HOUESSOU
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