mercredi, mai 21, 2025
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Flux illicite en Afrique de l’ouest : Des milliards engloutis par la criminalité maritime

En Afrique de l’ouest et plus précisément dans les pays du golfe de Guinée, la criminalité maritime nuit gravement à la liberté de navigation, à l’essor économique des pays et aux échanges commerciaux. Dans un rapport publié la semaine dernière, le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’ouest (GIABA) souligne que les entreprises criminelles très structurées prospèrent dans la zone, faisant perdre aux pays plusieurs milliards de Fcfa.

Le Golfe de Guinée est aujourd’hui considéré comme la zone la plus dangereuse au monde en son genre. Les entreprises criminelles y prospèrent et étendent progressivement leur rayon d’action, tirant profit des faiblesses qui caractérisent de nombreux États de la région. Il s’agit notamment de l’insuffisante coordination intra et interétatique, l’inadaptation des cadres juridiques, l’insuffisante connaissance et maîtrise du domaine maritime, la corruption qui facilite l’écoulement à terre des produits volés et la lenteur dans la mise en œuvre des décisions arrêtées. Également, l’absence de poursuites judiciaires liées aux actes de piraterie et aux vols à main armée en mer continue de saper les efforts de lutte contre la piraterie. Cela est dû à la non application ou à l’absence actuelle de législation appropriée, mais aussi à l’arrestation limitée des pirates présumés et à la faiblesse de la protection et de la collecte de preuves médico-légales.

Le rapport sur les Flux financiers illicites (FFI) publié par l’OCDE en 2018 indique que les coûts annuels de la piraterie en Afrique de l’Ouest avoisineraient 565 millions à 2 milliards USD. En ce qui concerne les vols de marchandise orchestrés par les pirates, ils se situeraient à plus d’un (01) million de dollars par an, selon le rapport Pirates of the Gulf of Guinea, publié en décembre 2021 par Stable Seas.

L’étude du GIABA a cependant révélé que plusieurs infractions maritimes procurent des revenus importants à leurs auteurs.

Au Bénin, les retombées lucratives de la criminalité maritime ne sont pas négligeables. En effet, la contrebande de marchandises dans les eaux béninoises rapporterait annuellement aux criminels 625 millions USD9 en moyenne par an, le vol de carburant (siphonage) 190 millions USD et les prises d’otage 1 million USD par groupe d’otages. Quant au vol à main armée, il rapporterait aux criminels 250.000 USD par an.

En Côte d’Ivoire, les revenus tirés de la criminalité maritime proviennent essentiellement de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (dite pêche INN), des trafics maritimes de produits illicites (faux moyennage, drogues, médicaments contrefaits, etc.) et de la corruption. L’analyse des différentes données recueillies a permis au GIABA d’estimer à ce jour les pertes en termes de FFI, restreints aux FFI sortant, entre 685 et 950 milliards de francs CFA ces dernières années (2018/2021), soit une hausse moyenne 104,4 % du montant des FFI, il y’a environ une dizaine d’années. En moyenne, ce montant représente 62,9 % de l’aide publique au développement reçu par le pays en 2020.

Au Ghana, des entretiens du GIABA avec le personnel naval directement impliqué dans les opérations au Ghana ont révélé que le soutage illégal (avec la pêche INN) est l’une des criminalités maritimes les plus fréquentes dans le domaine maritime du pays. Les pertes de revenus pour l’État finissent souvent par des profits/revenus accumulés provenant de la criminalité et pourraient donner des indications utiles sur l’ampleur des flux illicites résultant de la pêche INN au Ghana.

Les experts du GIABA révèlent que la Guinée-Bissau continue d’être une plate-forme pour l’entrée de cocaïne d’Amérique du Sud sur le territoire européen. De plus, l’environnement est permissif pour les opérations de trafic grâce à une corruption latente. Diverses formes de criminalité maritime sont perpétrées dans le pays avec une forte dynamique haussière. Il s’agit notamment de : Le trafic maritime international de drogue, la piraterie maritime et l’enlèvement de marins, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, le trafic de migrants, la contrebande de devises par voie maritime, l’abattage illégal d’arbres transportés par voie maritime et l’extraction illégale de minerais transportés par voie maritime. L’essor de la criminalité maritime dans le pays a été largement attribué à l’affaiblissement de l’autorité de l’État, à la corruption généralisée et à l’absence d’orientations politiques claires pour le secteur maritime. En termes absolus, pas moins de 45 milliards de francs CFA ont été générés par la commission de ces crimes entre 2006 et 2022, et seulement 0,73% de ce montant a été saisi ou confisqué

Au Togo, la contrebande de produits pétroliers génère énormément de flux financiers. « Il est certes difficile d’évaluer l’ampleur de ces flux, mais il ressort des statistiques fournies par le GIGM et la Marine Nationale, que le trafic de carburant et d’autres produits pétroliers dans les eaux sous juridiction togolaise est récurrent et d’une importance significative. Les personnes impliquées dans la contrebande de ces produits sont pour la plupart de nationalité togolaise, ghanéenne, béninoise et nigériane selon les responsables du GIGM10 », précise le rapport du GIABA.

Quelques réponses juridiques des pays

Le Golfe de Guinée est un espace maritime géostratégique. Ainsi, il est important pour la région d’inverser la tendance et de veiller à ce que les attaques en mer ne restent pas impunies. Conscients de cela, de nombreux États côtiers ont pris des mesures vigoureuses. Au niveau juridique, les Nations Unies ont établi un ensemble d’instruments juridiques internationaux dont la prise en compte des dispositions pertinentes dans les législations nationales permet de prévenir et réprimer de façon efficace et durable les actes illicites perpétrés dans les espaces maritimes nationaux et internationaux. 87. L’analyse des cadres juridiques nationaux et régionaux, eu égard aux exigences du droit international, a permis au GIABA de relever que les droits internes des pays couverts par cette étude restent à parfaire en vue d’une lutte efficace contre la criminalité maritime.

Les premiers instruments en matière de criminalité maritime sont : La Convention de Genève de 1958 sur le droit de la mer ; la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 Décembre 1982 qui qui définit le régime juridique des différents espace maritimes et qui fixe des modalités de gestion et d’exploitation des ressources situées sous aucune juridiction des Etats côtiers.

Le rapport a également mis l’accent sur les Instruments internationaux subsidiaires en matière de lutte contre les crimes sous-jacents de la piraterie. Il s’agit de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 19 décembre 1988 ; la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée adoptée à Palerme (Italie) du 15 novembre 2000 et ses Protocoles additionnels ; du Protocole visant à prévenir et combattre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ; du Protocole relatif à la lutte contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer ; de la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes.

Plusieurs autres instruments internationaux ont été mis en place en matière de lutte contre la piraterie. A tous ces textes s’ajoutent les instruments juridiques de l’OMI et les instruments régionaux en matière de lutte contre la piraterie. Ces derniers sont constitués de : la Charte Africaine des Transports Maritimes (CATM) adopté en 1994; (b) la Résolution de Durban de 2009 et Plan d’action sur le transport maritime adoptée à Abuja février 2007 revu en avril 2008 et à Alger et octobre 2009 Durban ; (c) la Résolution 2039 (2012) pour lutter contre la piraterie et les vols à main armée en mer dans le Golfe de Guinée et renforcer la sureté et la sécurité maritime de la CEEAC, la CEDEAO, la Commission du Golfe de Guinée (CGG) et l’Organisation Maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (OMAOC); (d) la Résolution 67/78 du 05 décembre 2012 sur les océans et le droit de la mer.

La nature hautement stratégique des zone maritime faisant, la problématique de la sécurité en mer demeure au centre des objectifs du développement durable. Malgré tous les efforts, le Golfe de Guinée continue d’être aux prises avec l’insécurité. Les produits générés par la criminalité maritime pourraient constituer dans une très large mesure une source de facilitation et d’approvisionnement des bandes criminelles organisées pour étendre leurs réseaux et faire prospérer leurs activités délictueuses en mer et sur la terre. Il est donc urgent que les pays se mobilisent autour de la nécessité de prioriser la confiscation des produits et instruments de l’infraction maritime, et le démantèlement des groupes opérant en réseaux.

Des recommandations pour les Etats membres côtiers du GIABA

Le rapport régional s’est attardé sur la faiblesse des réponses juridiques, institutionnelles et opérationnelles à la criminalité maritime, de même que sur l’absence de partenariat public et privé pour venir à bout de ce phénomène. A la lumière des défis et vulnérabilités identifiés à travers une revue documentaire et une analyse approfondie des études de cas présentées par les pays, les recommandations suivantes ont été formulées :

Les Etats membres côtiers du GIABA doivent, entre autres :

  • Procéder à une évaluation sectorielle des risques pour déterminer dans quelle mesure les criminels peuvent utiliser à mauvais escient leurs secteurs financier et non financier dans le but de dissimuler et blanchir des gains provenant de la criminalité maritime et d’appliquer des mesures d’atténuation.
  • Élaborer ou mettre à jour les stratégies nationales en matière de sûreté et de sécurité maritimes afin de veiller à ce qu’elles associent de manière appropriée la Cellules de Renseignement Financier (CRF) et les autres acteurs concernés en matière de LBC/FT. Se doter d’un document de politique nationale de lutte contre toutes les formes de crimes commis en mer.
  • Réviser les stratégies nationales de LBC/FT existantes pour y intégrer les professionnels de la mer et tous les intervenants directs dans la sécurité et la sûreté maritime.
  • Mener des réformes législatives pour s’assurer que toutes les formes de criminalité maritime sont incriminées conformément aux normes internationales acceptables, notamment la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer (CNUDM).
  • Définir, par le biais de lois, de règlements ou de toute autre directive pertinente, les mécanismes par lesquels les principales agences et institutions maritimes collaboreraient avec les cellules de renseignement financier afin de faciliter la surveillance du secteur et de créer une routine d’échange d’informations à des fins de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
  • Sensibiliser tous les acteurs exerçant dans les secteurs portuaires et maritimes afin qu’ils puissent appliquer strictement les normes du GAFI en tant qu’outil efficace permettant de lutter contre le blanchiment des capitaux provenant de la criminalité maritime.
  • Soutenir les systèmes d’archivage dans toutes les agences maritimes et développer un mécanisme de partage spontané ou d’accès systématique aux informations par les Cellules de Renseignement Financier (CRF) et les autorités d’enquêtes et de poursuites pénales.
  • Renforcer les capacités opérationnelles des autorités d’enquêtes et de poursuites pénales à détecter les formes de criminalité maritime et à mener les enquêtes financières parallèles.
  • Adopter une politique pénale spécifique en matière de LBC/FT permettant de systématiser les enquêtes conjointes, les enquêtes financières, la confiscation et le recours à la coopération régionale et internationale.
  • Doter les agences de lutte contre la criminalité maritime de moyens d’intervention rapide (moteurs de grande puissance) et d’équipements de pointe (drones) ;
  • Mettre en place un système d’alerte et de dénonciation des actes de corruption dans le milieu maritime assortis d’un régime de protection des dénonciateurs.
  • Renforcer le pouvoir et les responsabilités des agences maritimes compétentes pour s’assurer qu’elles contribuent aux efforts de détection des flux financiers, d’enquêtes et de poursuite en matière de LBC/FT.
  • Prendre les mesures adéquates pour garantir la confiscation de tous les produits issus d’activités criminelles (y compris celles commises en mer) et les biens de leurs auteurs (comptes bancaires, biens immobiliers et autres biens de valeur) lorsque la culpabilité de ceux-ci est établie ;
  • Continuer et intensifier les formations des acteurs de la chaîne pénale (OPJ, Secrétaires de Parquets, Personnels de greffe et Magistrats) pour les préparer à agir en réseau avec de nouvelles méthodes de travail et des techniques spéciales et innovantes d’enquêtes.
  • Renforcer les capacités des agences maritimes chefs de file en matière d’enquêtes financières et de tous les tribunaux maritimes en matière de LBC/FT.
  • Établir des cadres juridiques et des mécanismes institutionnels pour coordonner plus efficacement l’utilisation de la coopération internationale dans les enquêtes et les poursuites relatives au BC/FT liés à la criminalité maritime.
  • Instituer un mécanisme de contrôle et de supervision règlementaire des entreprises maritimes privées et de leurs activités pour s’assurer que celles-ci sont conformes au droit de la mer.
  • Assurer un suivi au-delà du projet de l’UE pour soutenir la création d’un Forum régional des agences maritimes chefs de file pour l’échange d’informations et de connaissances sur les questions émergentes critiques relatives à la LBC/FT.
  • Explorer l’opportunité de créer un tribunal régional du droit de la mer pour se consacrer à la poursuite en matière de criminalité maritime des actes commis dans l’espace marin du Golfe de Guinée.

Félicienne HOUESSOU

Avez-vous des informations à transmettre aux journalistes d’Africa3i ? Envoyez-nous un e-mail à africa3info@gmail.com

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