La guerre en Ukraine, la pandémie de Covid-19 mais aussi les changements climatiques ont accentué la flambée des prix alimentaires dans les villes et villages du Bénin. Cette inflation menace particulièrement les couches vulnérables, notamment, les enfants dont les plus démunis étaient déjà en proie à l’insécurité alimentaire.
Les prix des produits alimentaires n’ont pas été aussi hauts depuis 10 ans. La situation que vivent les populations béninoises depuis quelques mois, fait effet d’une bombe qui touche aussi bien les milieux urbains que les zones rurales. Les enfants des milieux ruraux et des quartiers pauvres de Cotonou, sont la preuve réelle des effets de l’inflation sur la population. A Mougnon l’un des douze arrondissements de la commune de Djidja, dans le département du Zou au centre du Bénin, Hortense Kossou, mère de famille est contrainte de revoir les ingrédients qu’elle utilise pour la préparation des mets. En plus, elle se voit, la plupart du temps, en train de réduire le nombre de repas servis, de trois à deux par jour. « Dans la famille, nous cultivons du manioc. Donc, en dehors de la pâte blanche, nous consommons beaucoup le manioc ou l’igname et parfois sans l’huile que nous avons pour habitude d’utiliser comme accompagnement », se plaint-elle. Elle poursuit : « Tout est devenu cher alors que nos ressources financières ne s’améliorent pas ». Sa voisine, Charlotte Daga précise, que quelques années plus tôt, la situation était mieux puisqu’elle ne manquait jamais de farine de maïs. « C’était gérable car, avant, même avec 500 Fcfa par jour, on pouvait se débrouiller et servir les trois repas par jour, quand bien même ce n’est pas riche et varié », avance-t-elle.
Un peu plus loin dans les collines, la situation semble plus envenimée à Kotago, situé à quelques kilomètres de Savalou. Léonie Elomon, mère de trois enfants confie qu’il y a belle lurette qu’elle a servi les trois repas à son mari et à ses enfants. « Nous retardons le petit déjeuner pour pouvoir tenir avec deux repas par jour. Nous essayons de diversifier les repas (pâte, gari et tubercules). Même le haricot qui était accessible à toutes les bourses, est devenu un plat de riche », indique-t-elle. En l’espace de cinq ans, le kilogramme du poisson chinchard encore appelé Silivi qui se vendait à 600 Fcfa est passé à 1200 Fcfa. Le maïs est passé de 125 Fcfa à 250 en 2022. Même le morceau de sucre qui se vendait à 5 Fcfa, coûte aujourd’hui 10 Fcfa l’unité. Pour avoir un kilogramme d’haricot, Léonie Elomon confie qu’elle débourse au moins 500 fcfa alors qu’il y a peu, elle le prenait à 250 Fcfa au plus. « Aujourd’hui tu ne peux plus aller chez une vendeuse pour acheter l’huile pour 100 Fcfa. Ce n’est pas facile. On ne vit pas, on survit », confirme dame Charlotte Daga. Cette poussée inflationniste conduit la population à consommer des aliments de substitution à faible valeur nutritive. Krystel Hountchegnon nutritionniste diététiste et technologue alimentaire indique qu’une mauvaise alimentation ou un système alimentaire qui ne tient pas compte des besoins de l’enfant peut entraîner la croissance du taux de malnutrition aiguë modérée et aiguë sévère, les infections, les diarrhées persistantes ou fréquentes, la pneumonie, l’anémie et la déshydratation. « Ces impacts peuvent affecter l’instruction et causer même des décès si l’enfant n’est pas vite pris en charge », insiste-elle. C’est pourtant le cas et Léonie Elomon est consciente que ses plats ne sont pas équilibrés pour la bonne santé des enfants. « Les Ong nous ont sensibilisé sur l’agencement des ingrédients. Par exemple, il faut utiliser les fretins et des assaisonnements pour rehausser le goût et équilibrer les repas sans grands moyens. Mais nous n’avons pas toujours les moyens pour le faire. Nous n’avons souvent pas d’autres choix, à part, remplacer ces ingrédients par un cube de 25 Fcfa », témoigne-t-elle. Les résultats sautent à l’œil. Ses trois enfants présentent tous une émaciation flagrante et un ballonnement du ventre, des symptômes de malnutrition.
Le fardeau de la malnutrition, un défi à relever
En 2021, l’ONG Actions pour l’environnement et le développement durable (Aced) publie une « étude exploratoire de l’impact de la pandémie de la Covid-19 sur le régime et le comportement alimentaire des ménages dans les villes de Porto-Novo, Abomey-Calavi, Bohicon et Comè ». Les diagnostics de terrain révèlent que la situation alimentaire était nettement plus précaire dans les villes à l’intérieur du pays. « La consommation de viande et de boissons dans les villes a diminué. Le lait et les œufs ont été également moins consommés dans les villes de Bohicon et Comè…», note le document qui confirme l’incapacité des parents pauvres à assurer une alimentation saine et équilibrée des enfants. Ainsi, face aux nombreuses crises, la situation des enfants pauvres va de mal en pis. Krystel Hountchegnon assure avoir reçu plusieurs cas d’enfants souffrant de cas de malnutrition. « Nous avons récemment reçu des enfants dont certains souffraient d’infection digestive avec déshydratation et de détresse respiratoire suite à un gavage », confirme la nutritionniste diététiste. Hermane Hessou, directeur de l’association ‘’Terre rouge Bénin’’ précise que depuis la crise du Covid-19, la vulnérabilité psycho-sociale des enfants et jeunes en situation de rue s’est amplifiée. « Les difficultés des enfants, que ce soit sur le plan alimentaire, sanitaire et de l’hygiène se sont aussi amplifiées. Particulièrement dans ces périodes, les filles en situation de rue vont dans des activités de prostitution pour répondre à leur besoin de base. Rien qu’au marché Dantokpa, on peut estimer à plus de 5000, les enfants en situation de rue qui arrivent à peine à avoir deux repas par jour », martèle-t-il.
Les cantines scolaires volent au secours des enfants
Dans certaines contrés, les familles comptent sur les cantines scolaires pour alléger les dépenses mais également pour garantir aux enfants, au moins un repas sain et équilibré par jour. A Goulo-Sodji dans la commune de Zè, la cantine scolaire est un facteur favorisant la scolarisation des enfants. Olivier Bossou, père d’une famille de cinq enfants n’hésite pas à faire le grand déballage : « au moins quand les enfants vont à l’école, ils trouvent à manger et nous sommes un peu soulagés », témoigne-t-il avant de lancer un cri de cœur : « il faut que le nombre de repas passe à deux dans les cantines. Cela nous sera d’une grande aide ». En réalité, le Programme national d’alimentation scolaire intégré (Pnasi) a un double objectif. Outre l’éducation des enfants, il s’agit également d’améliorer leur statut nutritionnel. Ainsi, en offrant un repas équilibré et consistant aux élèves, la cantine permet également de lutter contre les problèmes de malnutrition qui concernent des familles extrêmement pauvres. Selon le Programme alimentaire mondial (Pam) au Bénin, le taux de couverture en cantines scolaires est passé de 29 % en 2017, à 51 % en 2021. Mais il se révèle nécessaire d’aller plus loin. Déjà, il urge d’atteindre toutes les écoles, mais encore, il serait d’une grande utilité d’augmenter le nombre de repas servis dans ces cantines. Si le manque d’aliments capables de soutenir la croissance physique et mentale est susceptible de nuire à leur instruction comme l’indique l’UNICEF en 2019, dans son rapport, intitulé ‘’La Situation des enfants dans le monde 2019 – Enfants, nourriture et nutrition’’, il serait peu aisé d’espérer un réel développement du Bénin. Les enfants étant l’avenir d’une nation, ‘’tout’’ repose sur leur capacité à amorcer la croissance vers un monde meilleur. Le regard autre fois porté sur la malnutrition doit évoluer. Les enfants mal nourris et qui vivent mal devraient être au centre de toutes les priorités.
Garantir des actions concrètes en faveur des enfants
Le 16 octobre 2021, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, la FAO a appelé les acteurs à divers niveaux à travailler ensemble dans la solidarité pour donner la priorité au droit de tous à l’alimentation, à la sécurité alimentaire, à la nutrition. Le Groupe de la Banque mondiale, dans un communiqué publié le 18 mai 2022 exhorte à davantage soutenir la production, les producteurs et les ménages vulnérables.
« Les subventions au niveau des Ong locales ne suffisent pas pour répondre efficacement. Il est important que le gouvernement à travers les associations locales qui travaillent sur le terrain puisse être subventionné pour porter secours à davantage d’enfants. Les actions doivent êtres amplifiées afin de satisfaire les besoins de base des enfants démunis », lance Hermane Hessou qui espère que les financements annoncés de part et d’autres atteignent les vrais acteurs pour une meilleure prise en charge de la situation. Il est urgent d’enclencher un déploiement à grande échelle de mesures relevant d’approches qui intègrent la prévention, l’anticipation et un meilleur ciblage, et qui apportent ainsi des solutions durables aux causes premières des crises alimentaires, à savoir la pauvreté rurale structurelle, la marginalisation, la croissance démographique et la fragilité des systèmes alimentaires. Car, dans les situations de crises ou d’urgence, les plus vulnérables peuvent être les plus oubliés.
Félicienne HOUESSOU