La remise du Prix du Meilleur Article des Journées Scientifiques de l’Économie Béninoise (JSEB) 2025 a mis en lumière une vérité sur l’extraction des ressources naturelles en Afrique. Les lauréats, les professeurs Théophile T. Azomahou et Mahamady Ouédraogo de l’Université Clermont Auvergne (CNRS, CERDI), ont produit une étude choc qui décortique le lien complexe entre l’activité minière, la confiance citoyenne envers l’État et la fragmentation ethnique.
Le meilleur article des JSEB, salué pour sa densité scientifique, pose une question fondamentale : l’extraction minière, censée être un moteur de développement, ne serait-elle pas en réalité un catalyseur de défiance institutionnelle, dont l’impact est inégalement ressenti selon les liens ethniques avec le pouvoir ?
Du mythe de l’enthousiasme à la crise de confiance
L’étude des deux économistes part d’un constat : bien que des travaux antérieurs aient montré que l’exploitation minière alimente la corruption, les conflits et les dégâts environnementaux, son impact sur la confiance institutionnelle restait sous-étudié. L’hypothèse testée est simple : une mauvaise gouvernance de l’activité minière détériore la confiance des populations locales envers les institutions. Cependant, cette détérioration dépend de la distance ethnique des citoyens au pouvoir politique en place.
Théophile T. Azomahou et Mahamady Ouédraogo mobilisant des données géoréférencées sur les mines (FERDI/Minex Consulting) et les perceptions des citoyens (Afrobaromètre), ont montré que les résultats sont sans appel et apportent une triple contribution à la littérature académique et aux décideurs. L’étude enrichit les travaux sur les conséquences politiques et institutionnelles locales de l’extraction minière en Afrique, qui documentent ses effets sur la corruption, les conflits et la saillance ethnique, mais offrent encore peu d’évidence quant à son impact sur la confiance institutionnelle. Ensuite, elle établit un lien entre cette littérature et celle consacrée à la confiance et au développement, en soulignant que la légitimité institutionnelle est essentielle à la performance économique, tout en étant insuffisamment étudiée dans les contextes d’exploitation des ressources naturelles. Enfin, l’étude fait le pont entre les recherches sur la malédiction des ressources et celles sur l’ethnicité en examinant comment la distance ethnique au pouvoir politique façonne les effets politiques de l’activité minière. Alors que les travaux existants analysent séparément les liens entre mines et institutions d’une part, et entre mines et ethnicité d’autre part, nous montrons que ces dimensions interagissent et produisent des effets combinés.
Un cycle de confiance paradoxal
L’Espoir éphémère ! La découverte de gisements de mines accroît initialement la confiance des populations dans les institutions politiques, nourrissant l’espoir de retombées économiques futures (emplois, infrastructures). Mais la déception ne tardera pas. La phase de production et, plus gravement, la fermeture des mines, réduisent drastiquement la confiance envers le Président et l’État. Selon les auteurs, cette forte méfiance, notamment après la fermeture, est en parfaite concordance avec l’idée que la mauvaise gestion des coûts environnementaux et sociaux des activités extractives mine la légitimité de l’État. Le résultat le plus percutant de la recherche concerne l’inégalité de cette défiance. Les effets négatifs de la production et de la fermeture des mines ne sont pas uniformes.
« L’érosion de la confiance institutionnelle induite par l’activité minière est significativement plus faible pour les individus ethniquement proches du pouvoir politique », expliquent les professeurs Azomahou et Ouédraogo. En d’autres termes, les communautés appartenant au même groupe ethnique que le chef de l’État subissent une baisse de confiance moins marquée, bénéficiant d’une perception (réelle ou supposée) d’un partage plus équitable des bénéfices. À l’inverse, les groupes politiquement marginalisés subissent une chute beaucoup plus marquée de leur confiance aux institutions.
Des recommandations …
Les résultats de cette étude primée lancent un appel pressant aux gouvernements africains riches en ressources. L’enjeu n’est pas seulement de gérer le secteur extractif pendant l’exploitation, mais surtout sur l’ensemble du cycle, de la découverte à la fermeture. Les professeurs recommandent que les pays africains accordent une attention particulière aux conséquences politiques de l’activité minière. Entre autres, renforcer les mécanismes de partage des revenus pour assurer l’équité inter-ethnique ; limiter les coûts environnementaux de l’extraction ; promouvoir un dialogue constructif et permanent avec l’ensemble des communautés locales, sans distinction ethnique ou politique.
L’étude souligne ainsi la nécessité d’intégrer le contexte politique et ethnique dans l’élaboration des politiques du secteur extractif. Une bonne gouvernance des ressources naturelles est non seulement une question économique, mais avant tout une priorité pour la stabilité politique et la cohésion nationale. Les organisateurs des JSEB, en primant cet article, envoie un signal fort sur l’importance de la recherche au service de la bonne gouvernance africaine.
Félicienne HOUESSOU
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