Au Bénin, les violences basées sur le genre (VBG) constituent un phénomène de société qui subsiste malgré les nombreuses actions et initiatives de lutte. Dans les ménages notamment, nombreux sont ces filles et femmes victimes qui, sous le poids de la société, peine à dénoncer leurs bourreaux.
A Zogbodomè, une commune du sud du Bénin, à 150km de Cotonou, Aline est une revendeuse et mère de 5 enfants. Selon elle, beaucoup de violences domestiques restent comme un secret de famille enfouie dans le cœur des victimes. « Adolescente, à peine 13 ans, j’ai subi des attouchements de la part de mon père. Heureusement, ma mère a su gérer la situation », confie-t-elle le regard attristé. Aline se rappelle avoir surmonté la peur et les chantages de son géniteur pour informer très tôt sa mère. « Ce jour, ma mère a pris sa tête entre les deux mains et a ensuite commencé par couler les larmes. Elle m’a interdit d’en parler à qui que ce soit. Cette nuit même, elle va me déposer chez ma tante », se rappelle-t-elle. Ainsi, après les menaces du père, ce fut le tour de la mère qui interdit à sa fille de raconter sa mésaventure de peur de subir le jugement de la société.
Comme le cas d’Aline, plusieurs formes de violences se déroulent dans les ménages et n’ont pour témoin que les murs et les portails. Dans la même commune, Delphine Allaye mère d’une famille de 3 enfants confie être fréquemment battu par son époux. Mais, elle se sent dans l’incapacité de dénoncer. « Mon mari peut me battre pour rien du tout lorsqu’il rentre ivre ; Mais également lorsque je me plains de ses manquements aux charges financiers ou de ses aventures intimes avec des proches. Une fois il est allé trop loin et je suis allée voir une Ong qui aide les femmes ici. Mais les parents sont intervenus et j’ai arrêté la procédure », indique-t-elle. A l’en croire, ce n’est pas réfléchi de convoquer ou d’enfermer son mari. Car dira-t-elle, « si tu l’enferme, que vas-tu dire aux enfants ? Vas-tu les entretenir seule ? Le mieux c’est d’implorer Dieu pour qu’il le change ». Et pourtant, toutes les parties prenantes du pays s’attèlent à la mise en place effective d’un arsenal juridique et institutionnel pour protéger les victimes et punir leurs bourreaux.
Mise en place d’un dispositif de lutte contre les VBG
Le Bénin dispose d’un cadre juridique pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles et les éradiquer. Il s’agit notamment de la loi 2011-26 du 9 janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes au Bénin et du Plan multisectoriel de lutte contre les Violences faites aux Femmes et aux Filles (VFF).
Pour lutter contre toutes les formes de violences, le gouvernement béninois a aussi pris plusieurs mesures parmi lesquelles la création de l’Institut National des Femmes (INFE) qui a pour mission de contribuer à la promotion, à la protection et à la valorisation des droits des femmes au Bénin. Ses objectifs comprennent la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les violences basées sur le genre, la promotion de la participation politique et économique des femmes, ainsi que la sensibilisation et la formation sur les droits des femmes. Par ailleurs, le gouvernement a installé dans 3 communes du pays à savoir : Abomey, Cotonou et Parakou, des Centres Intégrés pour la Prise en Charge des Violences Basées sur le Genre (CIPEC). Ces centres d’accueil ont été mis en place pour offrir un soutien (conseils, assistance juridique et aide psychologique) aux victimes de violences basées sur le genre.
La résolution de Delphine Allaye est l’un des principales entraves à la lutte contre les VBG en Afrique et particulièrement au Bénin. Pendant que certaines victimes ont peur de dénoncer, d’autres craignent la décision de justice. Mais à quoi servent les lois sans un cadre d’application ?
Pas sans l’engagement des victimes
En marge de la Journée Internationale de Lutte contre les Violences faites aux femmes, Maître Marie-Elise Gbèdo, ancien Ministre de la Justice, avocate et membre de l’Association des Femmes Juristes du Bénin a mis l’accent sur le comportement des personnes victimes de violence, et en expliquant que très souvent, ces actes ne sont pas dénoncés par peur du jugement des autres. « La mise en application des textes, c’est par les femmes elles-mêmes. Lorsqu’elles viennent poser un problème à un cabinet d’avocat par exemple, et que celui-ci lance la procédure pour les tirer d’affaires, elles sont encore les premières à y renoncer. De ce fait, elles sont à la fois des victimes passives de leurs situations et des complices parce qu’elles empêchent la procédure d’aller à terme. Ce n’est pas la faute aux avocats. Mais ce qui justifie généralement la réticence des femmes, c’est la peur de la belle-famille. Elles ne veulent pas être l’objet d’insultes, de moquerie encore moins de rejet par celle-ci », explique-t-elle.
Maître Marie-Elise Gbèdo a également attiré l’attention sur le fait que les femmes non éduquées ou démunies ne sont pas les seules victimes de violences, mais aussi des femmes éduquées et indépendantes. La juriste a appelé les victimes à ne plus se taire et à dénoncer leurs bourreaux. « C’est bien, les innovations de la loi, mais encore faut-il les dénoncer », suggère-t-elle.
Quelques statistiques !
Au Bénin, selon l’annuaire statistique 2017, les Violences Basées sur le genre (VBG) touchent 69% des femmes et des filles sur le plan national. Selon un rapport de l’UNICEF en 2017, environ 2 filles sur 5 au Bénin ont été victimes de violences sexuelles avant l’âge de 18 ans. Les statistiques de la Cinquième Enquête Démographique et de Santé au Bénin (EDSB-V) 2017-2018 réalisé par l’INSAE Bénin, indiquent que les femmes béninoises sont confrontées à un risque élevé de VBG : une femme sur 10 a subi des violences sexuelles et 42% de femmes de 15-49 ans ont subi des violences conjugales.
Les violences domestiques, y compris les violences physiques et psychologiques sont également courantes. Ces violences sont sous-notifiées pour diverses raisons dont notamment la faible dénonciation des auteurs du fait de la sensibilité culturelle du sujet. Selon l’Enquête Démographique de Santé (EDS V) de 2018 (5ème édition), 54% des femmes victimes de violences n’en ont jamais parlé à quelqu’un ni recherché de l’aide. Il en résulte donc que les statistiques sur le sujet sont peu fiables et ne traduisent pas la réalité de l’ampleur du phénomène. Certaines études estiment à 68% le pourcentage de femmes qui déclarent avoir été victimes de violences diverses au moins une fois dans leur vie.
Par ailleurs, Une enquête spéciale d’Afrobarometer réalisée en 2022 révèle que les Béninois sont majoritairement convaincus qu’une victime de violence sexiste qui porterait plainte sera prise au sérieux par la police, mais risque de subir des critiques, du harcèlement ou de l’humiliation de la part de sa communauté́. Enfin, la majorité́ des Béninois considèrent la violence conjugale comme une affaire privée et non comme une affaire pénale.
Félicienne HOUESSOU